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Éducation et numérique : quels enjeux pour le public allophone ?
Julie Prévost Zuddas  1@  
1 : ATILF CNRS  -  Site web
Université de Lorraine

Notre recherche doctorale en SDL consiste en une analyse sociolinguistique des rapports à la littératie des allophones scolarisés dans le secondaire français. Notre recherche est qualitative et notre corpus est constitué de cinq types de données récoltées auprès de 33 apprenants (travaux scolaires écrits récoltés sur l'année scolaire 2015-2016, questionnaires sociolinguistiques, entretiens d'explicitation/compréhensifs, écrits autobiographiques de projection migratoire, bulletins scolaires).

Dans ce cadre, nous travaillons notamment sur la problématique de la littératie numérique : nous analysons les compétences requises pour comprendre et utiliser les technologies de l'informatique et les capacités sociolinguistiques nécessaires à la maitrise des ressources de l'internet et au développement de la littératie numérique.Inclus en classe ordinaire, les allophones bénéficient des mêmes enseignements sur le numérique que les natifs. 

La littératie numérique suppose des capacités de lecture, d'écriture et de communication qui combinent l'écrit, l'image, les éventuels effets sonores Pour M. Hoechsmann et H. DeWaard, une littératie numérique bien équilibrée intègre l'alphabétisation imprimée mais y ajoute des capacités, des compétences, et des comportements nouveaux. On y intègre maintenant un savoir-faire technique [...] mais aussi de nombreuses compétences générales comme la pensée critique et le comportement éthique (Hoechsmann, DeWaard, 2015 :1).

La littératie numérique présume donc des compétences textuelles, sémiotiques, cognitives, pragmatiques et éthiques que l'École doit s'attacher à faire acquérir. En effet, pour J.-P. Véran, à l'ère de la médiatisation sans médiation, il faut faire monter en puissance les compétences de maîtrise des «langages pour penser et communiquer », des « méthodes et outils pour apprendre », utiles à « la formation de la personne et du citoyen », qui constituent des domaines fondamentaux du socle de connaissances, de compétences et de culture (Véran, 2015 : 70).

Cependant, si « les technologies numériques, ou informatiques, offrent cette dualité possibilité d'action / possibilité de perception » (Bruillard, 2014 :110) – l'outil technologique permettant d'agir ; l'instrument donnant la possibilité de percevoir et de comprendre le monde – l'École ne semble prendre en compte que la première dimension de l'outil. Pourtant, l'objectif institutionnel est que l'apprenant maîtrise les technologies numériques pour devenir « un utilisateur d'internet, des réseaux sociaux numériques et des médias, conscient de ses droits et de ses devoirs, maître de son identité numérique, capable d'identifier et d'évaluer les sources d'informations, en faisant preuve d'esprit critique » (Véran, 2015 : 71). Cet objectif passe par la maîtrise d'outils informatiques et de méthodes.

À partir de notre corpus de recherche, nous analysons quelles ressources scolaires sont disponibles pour les élèves allophones et ce qu'ils en font. Ceci nous amène à constater des inégalités (sociales et culturelles) que ne comble pas le système scolaire.

D'abord, bien que la politique éducative française soit nationale, il existe des discriminations liées aux problématiques territoriales (la connexion en zone rurale étant encore défaillante ; les apprenants de zones périurbaines sont moins équipés que les enfants urbains).

Ensuite, il y a « un investissement inégal des familles dans le rapport au numérique, qui se retrouve dans le type et le lieu d'accès à l'équipement » (Plantard, 2015 : 64). P. Plantard parle de « mirage du technocentrisme » (Plantard, 2015 : 63) car la vision technocentrée masque la dimension des usages et les questions de socialisation, de capital culturel, de territoire, d'accompagnement – et donc d'éducation – en se réfugiant dans des techno- imaginaires qui expliquent, pour une grande part, l'échec des différents plans informatique, internet puis numérique à l'école (Plantard, 2015 : 64).

Enfin, si certains pays ont fait le choix, comme l'Australie, de développer un enseignement spécifique dédié aux nouvelles technologies numériques, la France n'a pas a su développer ce type de discipline. E. Bruillard – pour qui le modèle français pour penser les disciplines « est celui du XIXe siècle » – interroge : « Comment créer une nouvelle discipline à partir de modèles existants qui ne fonctionnent pas nécessairement bien ? » (Bruillart, 2014 :111).

Notre proposition de communication s'inscrit dans l'axe « Enjeux » et sera l'occasion de questionner le champ de l'éducation lié au numérique : la littératie numérique et les inégalités entre apprenants (natifs et allophones, entre allophones). Notre communication permettra d'interroger les usages numériques à partir d'un corpus récolté auprès d'élèves au capital social, culturel et linguistique hétérogène.

Bruillard, E. (2014). Le numérique à l'école : évolution ou révolution pédagogique ?. Revue internationale d'éducation de Sèvres, 67, 103-118.

Hoechsmann, M., Dewaard, H. (2014). Définir la politique de littératie numérique et la pratique dans le paysage de l'éducation canadienne. HabiloMedia. URL : http://habilomedias.ca/sites/mediasmarts/files/publication-report/full/definir-litteratie-numerique.pdf

Plantard, P. (2015). Numérique et éducation encore un coup de « tablette magique » ? Administration & Éducation, 146,(2), 63-67. https://www.cairn.info/revue-administration-et-education-2015-2-page-63.htm

Véran, J. (2015). Compétences numériques des élèves : de quoi parle-t-on ?. Administration & Éducation, 146,(2), 69-74. https://www.cairn.info/revue-administration-et-education-2015-2-page-69.htm



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