Un des fondamentaux de l'apprentissage rythmique est l'acquisition d'une forte sûreté rythmique intérieure. D'après la pédagogie musicale « Martenot », cette sûreté rythmique passe par l'entraînement d'un groupe musculaire à la répétition régulière d'un même geste qui deviendra la « pulsation-jalon » (Martenot, 1981). Les mécanismes sous-jacents à cet apprentissage rythmique reposent sur la fonction de synchronisation sensorimotrice (SMS), définie comme « la coordination motrice avec un rythme externe » (Repp & Su, 2013).
Le dispositif technologique « Interactive Metronome » (IM) vise l'amélioration de cette fonction. L'IM est relié à une interface graphique qui fournit des feedbacks sur la synchronisation des frappes du sujet sur les battements du métronome, l'incitant à réguler activement et en temps réel son activité, lui permettant de se transformer et de construire ladite « pulsation-jalon ».
Sur le principe de l'IM, nous développons une technologie en réalité virtuelle, permettant d'étendre les possibilités en termes d'apprentissage rythmique. L'utilisateur est immergé dans un environnement virtuel dans lequel il doit interagir en rythme avec des cibles fournissant un feedback en temps réel sur la précision de sa synchronisation. Le cœur de l'innovation pratique visée réside dans l'étendue des mouvements pouvant être réalisés, engageant notamment une motricité globale et ludique, permettant un apprentissage rythmique potentiellement mieux "incarné".
Dans ce contexte général, l'objet de la présente communication est de présenter le cadre général de recherche/conception, et la manière dont les résultats empiriques obtenus viennent guider la construction et l'usage de l'outil de réalité virtuelle (Axe 2).
Soucieux de construire une technologie numérique d'apprentissage rythmique qui soit respectueuse de l'engagement du sujet en situation naturelle, nous effectuons des boucles itératives de recherche/conception pour conduire nos travaux qui s'inscrivent dans une approche dite « énactive » de l'activité humaine (Varela, Thompson, Rosch, & Kabat-Zinn, 2017). Notre objet d'étude s'est actualisé à partir de la construction d'un observatoire puisant autant dans l'analyse du mouvement (données quantitatives) que dans l'analyse phénoménologique de l'expérience des sujets (données qualitatives).
L'idée fondamentale de l'énaction est que "les capacités cognitives sont inextricablement liées à l'histoire vécue" (Varela et al., 2017). Le sujet en train de se synchroniser est conçu comme un système autonome exprimant son identité dans le couplage acteur/environnement en cours, tout en régulant activement ce même couplage à partir de son « monde propre ». Dans cette approche, rendre compte de l'activité d'un sujet passe par la mise à jour des patterns sensori-moteurs récurrents décelables dans son activité (i.e., des comportements propres), et la mise à jour concomitante des micro-identités (i.e., mondes propres) que le sujet actualise dynamiquement (intégrant ses préoccupations, ses perceptions, et tout ce qui rend unique de son point de vue l'instant vécu).
Douze sujets ont réalisé deux mouvements oscillants (pendulaire et rectiligne) de synchronisation sur les battements du métronome dans les milieux « réel » et virtuel. Les deux mouvements étudiés se différencient par le degré d' « auto-entretien » du mouvement, permettant de solliciter les sujets sur des registres moteurs variés impliquant des modes de régulation temporelle plus ou moins actifs.
Les analyses conduites sur ces deux gestes, et dans les deux conditions de pratique, relèvent de l'extraction des signatures statistiques du mouvement d'un côté (Torre & Delignières, 2008), et de la documentation analytique fine des expériences subjectives des sujets d'autre part (Theureau & Ostier, 2015). Ces deux types d'analyse sont ensuite combinés pour identifier les composantes-clés du contrôle du temps dans les gestes étudiés, et pour valider/moduler les développements actuels du dispositif de réalité virtuelle.
Ensemble, ces données permettent premièrement de discuter le bien-fondé de l'usage d'un environnement virtuel pour l'apprentissage rythmique. Deuxièmement, et en relation plus directe avec la compréhension de l'apprentissage rythmique, elles permettent de discuter l'influence de la nature du mouvement sur la SMS, plus particulièrement l'influence du degré de contrôle actif que le geste demande au sujet pour maintenir sa « pulsation-jalon ».
Martenot, M. (1981). Principes fondamentaux de formation musicale et leur application : méthode Martenot : livre du maître. Paris : Magnard.
Repp, B. H., & Su, Y.-H. (2013). Sensorimotor synchronization: a review of recent research (2006-2012). Psychonomic Bulletin & Review, 20(3), 403‑452. https://doi.org/10.3758/s13423-012-0371-2
Theureau, J., & Ostier, J.-J. (2015). Le cours d'action : L'enaction & l'expérience (Premiere edition). Toulouse : Octares Editions.
Torre, K., & Delignières, D. (2008). Distinct ways of timing movements in bimanual coordination tasks: contribution of serial correlation analysis and implications for modeling. Acta Psychologica, 129(2), 284‑296. https://doi.org/10.1016/j.actpsy.2008.08.003
Varela, F. J., Thompson, E., Rosch, E., & Kabat-Zinn, J. (2017). The Embodied Mind: Cognitive Science and Human Experience (revised edition). Cambridge, Massachusetts London England: MIT Press.