La diffusion de la formation à distance à l'université modifie le paradigme éducatif (rôles des acteurs, espaces de communication) et pose la question de la relation proposée entre le dispositif d'apprentissage conçu par l'enseignant et la perception que peut en avoir l'apprenant (Peraya, 2014). Le développement exponentiel des dispositifs de formation à distance, majoritairement asynchrones, avec prégnance de l'écrit et d'activités individuelles, a pour conséquence de reconstruire la dimension temporelle des actes de formation (enseignement et apprentissage) en fragmentant les temporalités et les relations entre acteurs. De telles conditions peuvent créer des difficultés d'engagement et de persévérance pour les participants de dispositifs de formation à distance (Paquelin, 2011).
En formation à distance, la question du temps croise donc celle des environnements numériques (Duncheon & Tierney, 2013). Afin d'aborder cette question, notre équipe a choisi d'explorer la perspective temporelle des situations de formation « en ligne » via l'analyse de l'articulation des sessions synchrones et asynchrones de dispositifs hybrides mis en œuvre en enseignement supérieur. Pour ce faire, nous avons conduit une recherche exploratoire portant sur le contexte spécifique d'activités synchrones organisées via un outil de type « classe virtuelle » (CV) et sur l'impact que peut avoir la mise en place de ces moments médiatisés d'une part sur l'organisation, par les enseignants, des activités d'apprentissage en ligne, et d'autre part sur le vécu des étudiants en termes de temporalités liées à ces activités. Au-delà de l'analyse des temporalités qui se développent, sous différentes formes, en formation à distance (échelles de temps, disponibilités et contraintes, rythmes, échéances, fragmentation des activités dans le temps) la question portait sur le rôle joué par les moments synchrones (instrumentés par outil de CV) dans la perception et l'engagement dans le dispositif de formation, en termes d'activités et de relations aux autres acteurs.
La démarche scientifique menée dans ce projet a consisté à croiser les points de vue enseignants et étudiants afin d'établir si le choix pédagogique d'intégration de rendez-vous sur classe virtuelle correspond aux besoins et au vécu des étudiants. Les données étaient issues d'entretiens semi-directifs auprès d'enseignants, ainsi que de questionnaires en ligne et de focus-group auprès de deux promotions successives d'étudiants. L'approche qualitative a permis d'identifier, via les déclarations et représentations de chacun, les compétences développées grâce à ces moments synchrones en termes de repérage dans le dispositif de formation, d'organisation temporelle des activités, et de conduite des apprentissages.
Les premières analyses ont montré le renforcement de la présence à distance. Par la multiplicité de ses canaux de communication, l'outil de CV rapproche les échanges conduits de ceux que l'on rencontre en situation de classe réelle. Il semble ainsi en reproduire les caractéristiques. Mais, de fait, il construit un nouveau réel synchrone propre à la situation distanciée. Par ailleurs, l'environnement de CV semble pouvoir fournir une réponse adéquate à la demande des acteurs des dispositifs à distance (enseignants et apprenants) qui cherchent toujours à rendre ces dispositifs plus « humains ». La notion de temporalité commune, construite en grande partie par la CV, va dans ce sens.
Dans le cadre de cette recherche, la notion d'usage tient lieu de pivot à la démarche scientifique. C'est à travers elle qu'on peut identifier en quoi les moyens technologiques (plateforme de formation, classe virtuelle), mais aussi l'ingénierie et la scénarisation pédagogiques, soutiennent l'instrumentation, et l'instrumentalisation (Rabardel, 1995), d'un dispositif de formation à distance, par définition réparti en termes d'espaces, fragmenté en termes de temporalités, alterné en termes d'activités de chacun. Les usages sont ici étudiés en termes d'appropriation des dispositifs pédagogiques et des environnements numériques qui les instrumentent.
La communication proposée au colloque Les usages du numérique en éducation semble pouvoir s'inscrire dans l'axe « Enjeux » car s'intéresser aux temporalités en régime numérique (Duncheon & Tierney, 2013 ; Cottier & Lanéelle, 2016) réinterroge les fondamentaux liés aux dispositifs de formations : Quels espaces de travail ? Quels moments et quels types d'activités ? Quelles relations aux ressources et aux autres ? Le changement de paradigme éducatif modifie les rôles de chacun des acteurs et impacte nécessairement les méthodologies de modélisation et d'analyse. L'apport épistémologique proposé tient à la reconstruction du paradigme éducatif en formation à distance autour de la notion de temporalité.
Cottier, Ph. & Lanéelle, X. (2016). Introduction au numéro thématique "Enseignement et formation en régime numérique : nouveaux rythmes, nouvelles temporalités ?", Distances et médiations des savoirs, 16.
Duncheon, J. C. & Tierney, W. G. (2013). Changing Conceptions of Time: Implications for Educational Research and Practice, Review of Educational Research, 83(2), 236–272, doi: 10.3102/0034654313478492
Paquelin, D. (2011). La distance : questions de proximités. Distances et Savoirs, 9(4), 565–590. doi:10.3166/ds.9.565-590
Peraya, D. (2014). Distances, absence, proximités et présences : des concepts en déplacement. Distances et médiations des savoirs, 8.
Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies : approche cognitive des instruments contemporains. Paris : Armand Colin.