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Outils et sources numériques dans les trajectoires de développement d'enseignants. Utilisations ou usages ?
Catherine Loisy  1, 2@  
1 : Sciences et Société ; Historicité, Éducation et Pratiques  (EA S2HEP)  -  Site web
École Normale Supérieure (ENS) - Lyon, Université Claude Bernard - Lyon I (UCBL) : EA4148
2 : École normale supérieure de Lyon - IFE  (IFE - ENS LYON)  -  Site web
École Normale Supérieure - Lyon

L'originalité de la démarche réside dans la méthodologie de recueil de données mobilisée : la Méthode trajectoire est un outil de recueil et d'analyse des trajectoires de développement mis au point pour saisir les transformations au fil des apprentissages et du développement professionnels (Loisy, 2015), élaborée dans une période de transformations du métier d'enseignant, dont le déploiement du numérique. Elle permet l'étude longitudinale des transformations. Le sujet identifie les bouleversements qu'il a perçus au cours de sa carrière pour lesquels il est amené, au fil de l'entretien, à expliciter ce qui l'a conduit à des changements, la nature des changements, et le sens qu'il leur donne en lien avec ce qui motive son activité professionnelle. Si le sujet n'est pas explicitement interrogé sur les utilisations qu'il fait du numérique, les résultats montrent que dans l'ensemble des entretiens conduits, la disponibilité de certains outils et sources numériques, dans et hors la classe, bouleverse certaines pratiques professionnelles. 

Le développement est un processus d'automouvement ; il se distingue de l'apprentissage au caractère éminemment social. Les processus de transmission-apprentissage et de développement sont nécessairement inter-reliés, le "nouveau" émergeant de l'union dialectique entre mouvement interne et environnement (Vygotski, 1985). La contradiction, moteur du développement, trouve sa dynamique dans une "lutte des contraires"  (Sève, 2014). Le concept de zone prochaine de développement est un cadre d'analyse pour saisir les niveaux de développement actuel et potentiel, et en creux, ce qui était au-delà de cette zone et que la personne semble ne pas avoir pu apprendre. La part subjective de l'activité est également associée à la question du sens (lien fait par la personne entre le mobile de son activité et un but dont elle perçoit la valeur) ; le niveau de l'action et celui de l'activité apparaissant ainsi en tension (Leontiev, 1981). L'hypothèse est posée que pour saisir le développement ‘en mouvement', il faut pouvoir s'emparer des contradictions motrices du développement ; des apprentissages ayant eu lieu en amont en lien avec les caractéristiques de phases "transmissives" ayant permis ces apprentissages ; des motifs de l'activité et de l'action. 

Les données exploitées dans cette communication ont été recueillies auprès de quatre enseignants du secondaire, de quatre des disciplines d'enseignement étudiées dans le projet de recherche ANR ReVEA (Ressources vivantes pour enseigner et pour apprendre) : anglais, mathématiques, STI, SVT. Les enseignants ont participé à deux entretiens, l'un en début de projet, l'autre entre deux et trois ans après le premier entretien. La partie orale des entretiens a fait l'objet d'une transcription verbatim. La trajectoire a été reproduite sous la forme d'un schéma respectant la disposition des éléments, ainsi que les formes et les couleurs des écrits et des tracés. Des photographies complètent le corpus. L'analyse du corpus permet de dégager des tendances du point de vue des "usages du numérique" par les enseignants interrogés. Une étude de cas permet d'approfondir en quoi certains outils ou sources numériques bouleversent les pratiques professionnelles, ce qui change, les éléments de contexte qui conduisent à ces changements, le sens que donne l'enseignant interrogé à ces transformations en lien avec ce qui motive son activité. 

La discussion porte sur la question des usages du numérique. En effet, les résultats obtenus auprès de quatre enseignants ne permettent pas de considérer que l'on puisse parler d'usages sociaux dans le sens qu'ils ne fournissent pas de données suffisantes pour considérer ces utilisations comme étant récurrentes et stabilisées. A cette limite, s'ajoute le recul insuffisant sur ces utilisations pour que l'on puisse savoir si elles résistent à d'autres pratiques concurrentes. Néanmoins, nous nous permettons de pointer quelques éléments qui sont en faveur d'une requalification de ces utilisations en termes d'usages. D'une part, les outils et/ou sources numériques dont nous avons repéré l'utilisation dans le corpus, sont, pour les répondants, assimilés à l'activité quotidienne et s'intègrent (voire s'imposent dans certains discours) dans des activités préexistantes, « à caractère social » (Chambat, 1994) pour certaines, à caractère professionnel pour d'autres. D'autre part, l'appropriation de ces outils ou sources participe du processus de construction de sens de l'activité professionnelle.

Chambat, P. (1994). Usages des technologies de l'information et de la communication, Technologies et Société, 6(3), 249-270.

Loisy, C. (2015). La ‘méthode trajectoire' : vers un instrument d'intelligibilité du parcours professionnel, et de soutien à la réflexion du professionnel sur son propre développement, Histoire, culture, développement : questions théoriques, recherches empiriques - Sixième séminaire pluridisciplinaire international Vygotski. CNAM-Paris, 15-16 juin 2015.

Leontiev, A. N. (1981). The problem of activity in psychology. Dans J.V. Wertsch (dir.), The Concept of Activity in Soviet Psychology. Armonk, NY : M.E. Sharpe.

Sève, F. (2014). Présentation. Dans L. S. Vygotski, Histoire du développement des fonctions psychiques supérieure (Trad. F. Sève) (1re éd. 1931). Paris, La Dispute.

Vygotski, L. S. (1985). Pensée et langage suivi de Commentaire sur les remarques critiques de Vygotski de Jean Piaget (Trad. F. Sève) (1re éd. 1934). Paris, Messidor/Éditions sociales. 


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