Cette communication s'inscrit dans l'axe “Enjeux” de ce colloque en proposant une analyse critique de l'industrialisation de la formation par le prisme des Sciences de l'Information de la Communication. Nous nous intéressons aux effets induits par les dispositifs sociotechniques d'information et de communication sur les pratiques collaboratives d'étudiants en contexte de formation à distance. L'objectif est d'appréhender les processus de collaboration à l'œuvre et “l'apprenance collective” qui s'illustre dans des communautés d'apprentissage qui se constituent en marge de l'institution académique. Notre recherche souligne un phénomène prégnant où les apprenants préfèrent s'en remettre à leurs pairs plutôt que solliciter leurs tuteurs en ligne. S'ils privilégient la disponibilité indéfectible des étudiants, ils accordent une plus grande importance à leur réactivité. Nous pensons que le clivage qui oppose l'environnement académique à la sphère estudiantine est pour partie le fait de deux temporalités distinctes. L'une, verticale, est celle de l'ENT institutionnel (Environnement Numérique de Travail) ; l'autre, horizontale, est caractérisée par les échanges de pairs à pairs au sein de l'EPA (Environnement Personnel d'Apprentissage). L'asynchronisme résultant engendre des effets de détournement d'usage par lesquels les étudiants exportent des ressources institutionnelles au profit de leur propre environnement. Mais l'analyse de leurs praxis révèle un autre artefact : l'accélération temporelle. Les terminaux mobiles sont principalement le fait de cet emballement. Les interactions de l'immédiat et le temps court ont tendance à prendre le pas sur la richesse interactive et le temps long. Or, ces communautés d'apprentissage ne semblent pas conscientes des effets de cette accélération à terme.
Nous recourons à une observation netnographique suivant une approche empirique par systématique hypothético-déductive. Notre terrain expérimental est composé de 314 individus inscrits dans un centre de formation à distance (privé). Notre corpus est composé de 1405 messages recueillis sur différents dispositifs : les forums de la plateforme institutionnelle et les groupes communautaires sur Facebook et Google+. Notre mesure s'effectue de novembre 2013 à mai 2014 soit six mois d'observation non participante. Celle-ci comprend l'analyse catégorielle de contenus des forums de la plateforme institutionnelle et des communautés d'apprentissage hébergées par les étudiants eux-mêmes. Pour appréhender les processus de collaboration, nous mobilisons une méthodologie pluridisciplinaire alliant les méthodes qualitatives par analyse catégorielle de contenus et des ritualités numériques et les méthodes quantitatives telles que l'analyse de réseaux sociaux. Notre ancrage théorique est la critique sociale du temps de l'école de Francfort qui intègre trois facteurs relatifs à l'accélération temporelle : l'innovation technique, le changement social et le rythme de vie. Nous proposons de mettre en perspective nos résultats à la lumière de la théorie de l'accélération de Rosa (2010).
La temporalité des communautés estudiantines étudiées est fortement influencée par les technologies numériques. Leur course à la réactivité est motivée par une mise en visibilité de soi, assimilable à une intermédiation. Cette accélération est préoccupante dans la mesure où elle est amenée à s'accroître encore avec l'innovation technologique. Quand l'instantanéité prévaut sur la richesse interactive, nous pouvons légitimement nous interroger sur les interactions en « temps réel ». Ainsi, ces étudiants, qui constituent des structures horizontales par idéologie participative, ne sont pas conscients de la logique de domination sociale régie par les algorithmes sur le principe du scoring et de l'évaluation entre pairs.
L'accélération temporelle relevée ici est avant le fait de l'innovation technique qui instrumente la jeune génération dans sa vélocité interactive. Les rythmes de vie s'accélèrent pour les plus jeunes et creusent encore plus le fossé avec leurs tuteurs. Quant au changement social, si nous constatons sur le terrain un engouement pour les structures décentralisées et a hiérarchiques, on déplore en revanche le processus de domination sociale que l'accélération temporelle produit sur notre population d'étude.
Domenget, J.-C., Larroche, V., Peyrelong, M.-F., & Merzeau, L. (2015). Reconnaissance et temporalités: une approche info-communicationnelle. Paris : l'Harmattan.
Peraya, D., & Bonfils, P. (2012). Nouveaux dispositifs médiatiques : comportements et usages émergents. Distances et médiations des savoirs. Distance and Mediation of Knowledge, 1(1). http://doi.org/10.4000/dms.126
Rosa, H. (2010). Accélération: une critique sociale du temps. (D. Renault, Trad.). Paris : La Découverte.
Virilio, P. (2010). Le grand accélérateur. Paris, France: Galilée.
Viveret, P., & Le Doze, C. (2014). Vivre à la bonne heure. Paris : les Presses d'Ile-de-France.