La réflexion sur les conditions de travail des étudiants à l'université s'ancre dans le mouvement plus large de ce que l'on nomme aujourd'hui la « pédagogie universitaire ». La notion est à la mode, comme peuvent en témoigner les nombreux colloques ou publications qui lui sont aujourd'hui dédiés en lien avec les nouvelles orientations politiques des établissements supérieur (cf. De Ketele, 2010). Il est clair que le développement de ce courant épouse les mutations sociales relatives aux technologies de l'information et de la communication (Lameul et Loisy, 2014). Lors d'entretiens menés pour une étude exploratoire auprès de différentes personnalités représentatives de la pédagogie universitaire dans une grande université française, nous constations un ajustement net entre ces formats de communication sociétaux et les principes pédagogiques universitaires aujourd'hui plébiscités. Le responsable de l'organisation des enseignements et des formations (membre de ce panel d'enquêtés) déclarait par exemple que le cours académique (magistral) n'est plus aujourd'hui adapté, eu égard à la réduction des formats de communication chez les étudiants (twitter, Facebook, MOOC...).
En l'état, tout se passe comme si, dans les discours tenus sur la refonte de l'enseignement universitaire, les formats pédagogiques devaient s'adapter aux nouvelles formes de socialité étudiante. Plus que de critiquer théoriquement ce postulat d'une continuité nécessaire entre temps didactique et temps sociétaux, on avancera que le souci d'une adaptation des formes de l'enseignement et de la formation à la culture numérique supposée des étudiants conduit souvent à passer outre l'étude même de cette culture numérique, lorsqu'elle opère au cœur de la scolarité estudiantine. Pour le dire autrement, la culture de l'étude à l'université – telle qu'elle fut entreprise par Verret (1975), Coulon (1997) ou encore Felouzis (2001) – n'est encore que trop peu étudiée à travers sa dimension proprement numérique, en particulier celle à l'œuvre de manière informelle et néanmoins puissante du côté des étudiants, à travers par exemple les réseaux sociaux.
Ainsi, le dispositif qui sera au centre de l'analyse de cet article se positionne en marge de ceux habituellement traités au sein du domaine. Plus que d'examiner l'espace des ingénieries numériques officielles prenant place dans l'enseignement universitaire, cet article proposera de convoquer un espace d'analyse tout à fait particulier : celui d'un groupe Facebook réunissant 199 étudiants de Licence 3 sciences humaines et sociales, dont l'usage institue clairement l'outil au rang d'instrument du « métier d'étudiant » (Coulon, 1997).
L'entrée sur ce terrain se caractérise par une position d'observateur « espion », pour reprendre la typologie de Kohn et Nègre (1991). En effet, l'observateur « clandestin » (Lapassade, 2002), fondu dans la masse des membres, est devenu adhérent au groupe sans indiquer initialement la finalité réelle de son adhésion. Les observations qui en découlent sont issues d'une enquête ethnographique s'étalant sur une durée de 8 mois (juillet 2015 à février 2016). Elles ont permis d'examiner comment les modes de communication numériques spontanément mis en œuvre par les étudiants sur les réseaux sociaux exercent à eux seuls d'importants effets sur la circulation des savoirs à l'université, notamment par la diffusion de prises de notes, perçue ici comme une réelle économie pédagogique parallèle.
Cette stratégie, que Lapassade qualifie « d'entriste » (2002), et la dissimulation du chercheur qui en découle, soulève de nombreuses questions aussi bien épistémologiques qu'éthiques. La nécessité de rendre compte d'un phénomène justifie-t-elle la méthode employée pour y parvenir ? Si la validité d'une expérimentation scientifique se mesure à l'aune de sa reproductivité objective, quid de la validité des observations menées sur un terrain impraticable pour d'autres chercheurs ? Ne peut-on finalement pas considérer toute recherche comme étant plus ou moins déguisée dès lors que le chercheur n'avoue pas directement tous les buts de son enquête ?
Ainsi, la démarche proposée par cet article sera opératoire à deux niveaux : au plan praxéologique, en invitant à une approche compréhensive des formes de vie estudiantines en vigueur sur les réseaux sociaux et en contribuant à nuancer les usages d'un tel dispositif pourtant pris comme point de départ pour légitimer la pédagogie numérique officielle ; mais surtout au plan méthodologique, en réinterrogeant la méthode exploratoire utilisée pour étudier les usages de ce dispositif informel.
Coulon, A. (1997). Le métier d'étudiant : l'entrée dans la vie universitaire, Paris : PUF.
Kohn, R. C. & Negre, P. (1991). Les Voies de l'observation. Repères pour les pratiques de recherche en sciences humaines. Paris : Nathan.
Lameul, G. & Loisy, C. (2014). La pédagogie universitaire à l'heure du numérique. Questionnement et éclairage de la recherche, Bruxelles : De Boeck Supérieur.
Lapassade, G. (2002). Observation participante. In Barus-Michel, J., Enriquez, E., et Levy, A. Vocabulaire de Psychosociologie. Positions et Références. Paris : Erès.
Verret, M. (1975). Le temps des études, Atelier Reproduction des thèses, Université Lille III.