Depuis la fin du 20ème siècle, l'université connaît des changements importants, liés à la massification et au déploiement des technologies de l'information et de la communication. Sous l'impulsion en Europe, du processus de Bologne, du traité de Lisbonne et de la Stratégie Europe 2020, les politiques publiques ont des exigences vis-à-vis de la réussite et de l'insertion professionnelle des publics universitaires. De plus en plus les étudiants expriment leurs attentes, voire leurs exigences vis-à-vis de la qualité des programmes d'enseignement (Peraya, 2015). Dans un environnement mouvant où les exigences du marché du travail se sont complexifiées, notamment en termes de compétences, ils s'attendent à trouver à l'issue de leur parcours, un travail en consonance avec la formation qu'ils ont reçue.
Face à cet ensemble de contraintes, les institutions ont tendance à chercher des solutions du côté de l'usage du numérique (Albero, 2014). Or, depuis les travaux de Cuban (2001), il est apparu que les objets techniques sont essentiellement introduits pour mettre en valeur la modernisation des établissements, alors que leur déploiement dans les usages pédagogiques reste en-deçà des possibilités offertes par les outils
Face à ce constat, il devient nécessaire de disposer de méthodes et modèles pour analyser la complexité du domaine de la pédagogie de l'enseignement supérieur. Chercheurs et praticiens investis dans ce champ pointent régulièrement des questions vives qui montrent que l'usage du numérique agit comme un analyseur : à quelles conditions l'usage pédagogique du numérique peut se faire levier d'innovation dans l'enseignement supérieur ? Comment trouver le bon niveau de dialogue entre acteurs de la recherche, acteurs du terrain et gouvernances pour garantir des innovations ? Ce sont quelques-unes des questions qui ont conduit à re-questionner le modèle de De Ketele (2010) le plus souvent pris en référence pour étudier ce champ. Ce modèle de la pédagogie universitaire a bien mis en évidence ce jeu de facteurs externes et internes qui pèse sur la pédagogie de l'enseignement supérieur, sans toutefois intégrer la question numérique à proprement parler. En concertation avec l'auteur, Loisy et Lameul (2017) ont, à partir de deux études de cas, poursuivi le développement du modèle de De Ketele (2010). Elles ont montré que le numérique est à considérer comme un élément à part entière et significatif parmi tous les facteurs et les forces agissant dans la pédagogie de l'enseignement supérieur. Elles ont aussi considéré que ces facteurs agissent de manière systémique les uns sur les autres. Dès lors, la pédagogie universitaire numérique apparait comme « un champ de recherche et d'intervention qui vise à rendre intelligibles les situations de formation exploitant, dans l'enseignement supérieur, les potentiels des technologies numériques, en prenant en compte diverses dimensions qui le déterminent en partie (notamment politique, culturel, ingénierique, technique) » (Lameul et Loisy, 2014, p.204). Enfin, elles ont pointé que dans les deux cas étudiés, l'apparition du numérique dans les pratiques pédagogiques mobilise la dimension « recherche en éducation » en lien avec le besoin, ressenti par les enseignants du supérieur, de mieux comprendre les apprentissages. Elles ont observé que la pédagogie universitaire numérique se fait inventive et créative : attention renforcée aux facteurs externes (massification, usages sociaux, injonctions) et internes ; souci de prendre en compte les apprentissages réels des étudiants en s'appuyant sur des portfolios numériques pour une évaluation formative ou pour l'alignement pédagogique ; conception plus intégrée des apprentissages des étudiants ; déploiement des approches-programmes et leur instrumentalisation, etc.. De plus, Loisy et Lameul (2017) montrent que la modification des pratiques d'enseignement-apprentissage impulse en retour une modernisation de l'institution universitaire.
A partir de la modélisation de Loisy et Lameul (2017), une étude de plusieurs situations pédagogiques est en cours. Ce travail permettra, lors de la communication, de présenter de nouveaux résultats, de continuer à interroger le modèle, et de proposer une grille d'analyse à destination des acteurs de la pédagogie universitaire numérique.
Albero, B. (2014). La pédagogie à l'université entre numérisation et massification. Apports et risques d'une mutation. In G. Lameul et C.Loisy (dir.), La pédagogie universitaire à l'heure du numérique. Questionnement et éclairage de la recherche, 27-53. Bruxelles : De Boeck.
Cuban, L. (2001). Oversold and underused: computers in the classroom. Cambridge: Harvard University Press.
De Ketele, J.-M. (2010). La pédagogie universitaire : un courant en plein développement. Revue française de pédagogie, 172, 5-13.
Lameul, G. et Loisy, C. (dir.) (2014). La pédagogie universitaire à l'heure du numérique. Questionnement et éclairage de la recherche. Bruxelles : De Boeck.
Loisy, C. et Lameul, G. (2017). Augmenting De Ketele's model for university pedagogy introduction. International Journal of Educational Technology in Higher Education (IJTHE/RITPU), 14(2). Disponible en ligne : http://www.ritpu.org/
Peraya, D. (2015). « Professionnalisation et développement professionnel des enseignants universitaires : une question d'actualité », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 10 | , mis en ligne le 20 février 2016, consulté le 19 octobre 2017. URL : http://dms.revues.org/1094
- Autre