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Etudier l'expérience des enfants en situation d'apprentissage instrumenté
Sandra Nogry  1@  , Gilles Dieumegard  2@  , Nicolas Perrin@
1 : Laboratoire Paragraphe  (Paragraphe)  -  Site web
Université Paris VIII - Vincennes Saint-Denis : EA349, université Cergy-Pontoise
2 : Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique, Éducation et Formation  (LIRDEF)
Université Paul Valéry - Montpellier III

En 2004, Wright et Mc Carthy publiaient « Technology as experience ». En se fondant sur les écrits de Dewey (1915, 2015) et de Bakthine, ces chercheurs mettaient en avant l'importance d'étudier l''expérience subjective de l'acteur lorsqu'il utilise une technologie en situation. Depuis, si l'expérience utilisateur (user experience) est devenue un argument marketing, l'expérience des sujets utilisant des technologies numériques est plus ou moins documentée suivant les domaines.

Dans cette contribution, notre objectif est de souligner l'intérêt de choisir comme unité d'analyse l'expérience vécue du sujet pour étudier l'apprentissage instrumenté et les usages des technologies en éducation. Cette contribution se fonde sur les réflexions développées au sein du projet micro-sparkle (Microgenetic Second Person Approach for Research on Knowledge and Learning) et sur une étude réalisée dans le cadre d'un projet de recherche sur les usages et l'appropriation des ordinateurs portables à l'école primaire. Elle vise à discuter des implications théoriques et méthodologiques du choix de cette unité d'analyse.

Ces dernières années, suite au développement de la théorie de l'Enaction (Varela, Thompson et Rosch, 1993), la phénoménologie- l'étude de l'expérience vécue, fondée sur la description des phénomènes et de leurs modes d'apparition - a trouvé une nouvelle place dans les recherches sur la cognition. Ainsi, Depraz, Varela et Vermersch (2011) adoptent l'expérience individuelle comme unité fondamentale d'analyse de la construction du sens.

Ces auteurs définissent l'expérience comme « un processus continu vécu de l'intérieur », « L'expérience est la connaissance familière que nous avons de notre esprit et de notre action [...] C'est ce dont un sujet singulier fait l'épreuve à un instant donné et en un lieu précis : ce à quoi il accède ‘en première personne' ».

Ainsi définie, l'expérience vécue comporte deux caractéristiques importantes. D'abord, c'est un processus concret qui se déroule dans le temps à travers des situations matérielles et sociales singulières. En second lieu, il est pré-réflexif : bien qu'il soit «vécu» en permanence, il n'est pas immédiatement accessible à la conscience réflexive, mais il peut être rappelé et évoqué avec précision dans certaines conditions. Selon Wright et Mc Carthy (2004), l'expérience forme un tout, elle ne peut être décomposée en composants indépendants, mais on peut néanmoins identifier plusieurs « fils » (threads), qui se tissent pour constituer la trame de l'expérience : un « fil » sensitif qui correspond à l'engagement sensoriel dans la situation, un « fil » émotionnel : les émotions ressenties au cours de l'expérience, ou encore un fil spatio-temporel, notre expérience du temps et de l'espace au cours de l'expérience.

Une approche de la deuxième personne implique une compréhension individualisée de l'expérience des autres. Documenter l'expérience vécue nécessite de demander au sujet de verbaliser son expérience subjective. Les comptes-rendus spontanés de l'expérience vécue sont généralement médiocres et peu fiables. Des méthodes d'interview telles que l'explicitation (Vermersch, 2012) et l'auto-confrontation vidéo (Theureau, 2010) permettent de surmonter ces faiblesses. Par la focalisation sur un événement particulier, et par des techniques de conduite de l'interview favorisant des descriptions précises des actions, des pensées et des sentiments elles permettent aux enquêtés de retrouver et d'évoquer l'expérience vécue.. Un ensemble d'indices verbaux, non verbaux et para-verbaux objectifs permettent aux chercheurs de vérifier la qualité de l'évocation. Les comptes-rendus verbaux qui en résultent sont complétés par des enregistrements vidéo in situ et des traces écrites, rassemblés dans des corpus complexes.

 De notre point de vue, l'expérience subjective constitue une unité d'analyse pertinente pour étudier ce qui se joue pour les enfants dans des situations d'apprentissage instrumentées par des technologies numériques.

Cette approche a été mise en pratique lors d'une étude portant sur les usages d'ordinateurs portables en classe à l'école primaire (Prévot-Carpentier 2017). L'étude visait à documenter le rôle de l'utilisation de cette technologie dans le développement de l'autonomie des élèves. Des auto-confrontations ont été conduites auprès des élèves suite à différents épisodes d'utilisation des ordinateurs en classe. Lors de la présentation, nous pourrons développer les apports de cette approche pour une meilleure compréhension de l'expérience vécue par les élèves, ainsi que les intérêts et limites de l'approche utilisée dans ce contexte.

Depraz, N., Varela, F. J., & Vermersch, P. (2011). A l'épreuve de l'expérience. Zeta Books.

Wright, P., & McCarthy, J. (2004). Technology as experience. Cambridge, MA: MIT Press.

Prévot-Carpentier M. (2017). L'activité instrumentée par les outils numériques des élèves d'une classe de CE1-CM2. Rapport de recherche, Université Paris 8.

Theureau, J. (2010). Les entretiens d'autoconfrontation. Revue d'anthropologie des connaissances, 4, n° 2(2), 287–322.

Varela, F., Thompson, E., & Rosch, E. (1992). The embodied mind: Cognitive science and human experience. Cambridge (MA): MIT press.

Vermersch, P. (2012). Explicitation et phénoménologie: vers une psychophénoménologie. Presses universitaires de France.


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